Lise's B.

Le blog de Lise Bouvet

– Pourquoi la France pénalise les clients de prostituées

Article co-écrit avec Yael Mellul et publié par le Huffington Post le 6 avril 2016, jour du vote de la loi. Depuis il a été traduit et publié en plus de 7 langues.

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« Pourquoi la France s’apprête à pénaliser les clients de prostituées »

Par Lise Bouvet et Yael Mellul

Ce mercredi 6 avril 2016, la France a adopté une politique publique de lutte contre la prostitution inspirée du modèle dit « nordique » qui nous semble souvent décrié, peu compris voire caricaturé, et dont nous aimerions éclaircir ici les tenants et les aboutissants.

Le législateur français, en ses représentants élus directement au suffrage universel, après de nombreuses années de commissions d’enquêtes parlementaires (dont nous vous invitons à lire les rapports) et auditions de toutes les parties en cause, va mettre la France en cohérence non seulement avec ses engagements internationaux, mais aussi et surtout, selon nous, avec la loi de 1981 pénalisant le crime de viol, défini comme un « acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». L’Assemblée Nationale a en effet reconnu aujourd’hui que la pénétration sexuelle contre argent est de nature contrainte; donc que la prostitution constitue une violence, et qu’il est ainsi logique que l’auteur de cette relation sexuelle imposée -le « client »- soit pénalisé.

La proposition de loi socialiste renforçant la lutte contre la prostitution comprend ainsi -entre autres- un volet de pénalisation des clients, qui seront désormais soumis au paiement d’une amende. Ce faisant, le législateur a entendu les voix des personnesprostituées qui témoignent de la torture que représente l’imposition de plusieurs pénétrations sexuelles non désirées par jour; torture physique et mentale désormais attestée par des études traumatologiques. Au terme de ses longs travaux, le législateur a reconnu que l’entrée des personnes -très souvent mineures– dans la prostitution procède d’une absence de choix et d’alternatives, quand ce n’est pas -pour la très grande majorité d’entre elles- par contrainte directe d’un proxénète ou d’un réseau de la traite. Et c’est là son grand courage politique. Le sens commun tient pour acquis que la prostitution serait une activité inoffensive entre adultes majeurs et consentants, alors que c’est au contraire la pauvreté, la minorité et la violence qui poussent massivement ces jeunes femmes à se vendre ou être vendues. Nos élus ont à juste titre estimé que le droit qui doit prévaloir ce n’est pas celui de se prostituer mais celui de ne jamais être réduit à se prostituer.

Les députés ont considéré que la présence même de l’argent dans la relation est la preuve irréfragable de l’absence de libre consentement d’une des parties et que « la prostitution c’est, en réalité, très simple. C’est du sexe entre deux personnes – entre une qui en veut et une qui n’en veut pas. Et comme le désir est absent, le paiement le remplace« .

Les volontaires n’étant pas si nombreuses à accourir pour satisfaire les petits plaisirs des clients, ces derniers sont servis par des proxénètes et trafiquants d’êtres humainsqui acheminent vers eux la marchandise désirée: quelqu’un qui ne peut pas dire non. Les députés ont d’ailleurs pu constater l’échec documenté de toutes les tentatives deréglementations du commerce du sexe. En effet, partout où la prostitution a été légalisée et les proxénètes ainsi adoubés comme entrepreneurs ordinaires, le trafic des femmes a explosé ainsi que l’intensification industrielle de leur exploitation: en Allemagne, en Australie, en Espagne et aux Pays-Bas. Et pour cause: une fois la demande normalisée, plus rien ne s’oppose à l’expansion du « marché »… Les députés ont au contraire estimé qu’on ne doit pas réglementer le crime, comme on ne réglemente ni le meurtre ni l’esclavage. On doit se donner les moyens de lutter contre eux, même si on sait qu’il faudra du temps pour les faire disparaître. La pénalisation du viol n’arrête malheureusement pas toujours les violeurs, mais elle permet une réparation pour les victimes, et surtout au corps social de dire le droit.

Le législateur a donc pris acte du coût humain et financier calamiteux de la prostitution et a décidé de le contrer par le seul modèle viable, testé et fonctionnel depuis 1999: le modèle dit suédois ou nordique, qui a véritablement réussi à faire reculer l’exploitation sexuelle partout où il a été implanté, et qui n’est en réalité aucunement un régime prohibitionniste. Le peuple suédois a considéré que les personnes sont prosti-tuées par des prosti-tueurs, et qu’elles doivent être avant tout et surtout décriminalisées et soutenues financièrement pour s’en sortir -au contraire de leurs acheteurs, qui sont la source et la condition du système prostitutionnel. Le proxénète n’existe en effet que pour répondre à une demande. Sans clients pour acheter des prostituées, il n’y a pas de marché donc pas de proxénétisme ni de trafic d’êtres humains, ces derniers n’existant que par eux et pour eux. Il est donc anormal que seuls les proxénètes soient pénalisés, alors qu’ils ne sont que seconds dans l’ordre de causalité. Les clients sont la raison et la cause principale du système prostitueur et des violences qui en découlent. Ils sont directement responsables du proxénétisme et de la traite qui n’ont pour objet que de les alimenter. Et même en dehors de ces situations majoritaires, ils sont les agents principaux de la violence inhérente à toute situation prostitutionnelle: le besoin d’argent constitue a minima une contrainte déterminante, même dans les rares démarches dites « volontaires ».

La prostitution est, quelle que soit l’hypothèse, un acte sexuel imposé sous contrainte: celle de l’argent. La prostitution est, toujours, de « l’ordre du viol« . C’est une violence sexuelle, perpétrée à une écrasante majorité par des hommes. Il suffit de lire les commentaires que les clients laissent sur les forums Internet qui leur sont dédiés, et où ils évaluent la « marchandise« , pour constater le vocabulaire qu’ils partagent avec les violeurs. La contrainte est précisément ce que cherche le prosti-tueur: ce qu’il achète, c’est la possibilité de se passer du consentement d’autrui, pour faire comme bon lui plaira dans une relation asymétrique où l’autre est à la merci de celui qui paye. Argent dont l’autre a besoin pour assurer sa survie ou celle de sa famille; ou, pire, qui sera capté par un proxénète ou un réseau de traite. Ce dont le « micheton » n’a cure; de toute façon, à supposer qu’il n’agisse pas en pleine connaissance de la situation, comment pourrait-il vérifier le discours qu’on lui servira pour apaiser ses restes de scrupules? Toutes les études sur les clients démontrent leur accointance avec le comportement des violeurs, et pour cause: la prostitution, ce n’est qu’une forme du viol, c’est un viol tarifé. Sans argent, pas de rapport sexuel; c’est donc bien qu’il n’est pas désiré. Des millions de femmes et de jeunes filles sont trafiquées tous les ans pour le bon plaisir de ces messieurs qu’il est grand temps de pénaliser, même par une simple amende comme prévu par la nouvelle loi.

L’enjeu fondamental dans une démocratie égalitaire est le suivant: comment les femmes peuvent-elles être les égales citoyennes des hommes, si ces derniers peuvent se les payer comme un steak chez le boucher? Les députés ont fait honneur à la France en décidant que ce n’est en effet pas possible, a fortiori dans un pays qui se veut exemplaire sur le plan des droits humains vis-à-vis du reste du monde; que c’est indigne d’une nation qui arbore en ses frontons la devise de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Et ce par trois fois entre 2013 et 2016 -bientôt quatre- en contrant systématiquement les rejets du Sénat. Peu de lois sous la Vème République ont eu un tel parcours parlementaire et se sont vues tant de fois votées et revotées. Et pour cause: il n’en va rien de moins que de dire que les femmes ne sont pas des marchandises, ni à vendre, ni à louer. En d’autres termes, il n’en va rien de moins que de la dignité humaine.

C’est donc avec enthousiasme que nous nous réjouissons du vote de cette nouvelle loi, qui viendra parachever le dispositif législatif français en matière d’égalité femmes-hommes; et c’est avec fierté que nous, militantes féministes abolitionnistes, avons pris part à cette « rupture anthropologique qui fonde un autre monde« .

Information

Cette entrée a été publiée le 7 septembre 2016 par dans bonne nouvelle, Culture du Viol, Industrie du Sexe, Viol.